dimanche 18 décembre 2011

Islande #20/Grindavík



Islande #19/Grindavík, Still Life





               Ce ne fut pas long. A peine avaient-ils jeté leurs lignes dans cette eau tranquille et froide, ils les relevèrent avec des poissons lourds, d'un gris luisant d'acier.
                Et toujours, et toujours, les morues vives se faisaient prendre ; c'était rapide et incessant, cette pêche silencieuse. L'autre éventrait, avec son grand couteau, aplatissait, salait, comptait ; et la saumure qui devait faire leur fortune au retour s'empilait derrière eux, toute ruisselante et fraîche.
                Les heures passaient monotones, et, dans les grandes régions vides du dehors, lentement la lumière changeait ; elle semblait maintenant plus réelle. Ce qui avait été un crépuscule blême, une espèce de soir d'été hyperborée, devenait à présent, sans intermède de nuit, quelque chose comme une aurore, que tous les miroirs de la mer reflétaient en vagues traînées roses…
[…]
                En même temps, la pêche allait de plus en plus vite, et on ne causait plus, tant les lignes donnaient ; à tout instant, on entendait tomber à bord des gros poissons, lancés sur les planches avec un bruit de fouet ; après, ils se trémoussaient rageusement en claquant de la queue contre le bois du pont ; tout était éclaboussé de l'eau de la mer et des fines écailles argentées qu'ils jetaient en se débattant. Le marin qui leur fendait le ventre avec son grand couteau, dans sa précipitation, s'entaillait les doigts, et son sang bien rouge se mêlait à la saumure.
Extrait de Pêcheurs d’Islande de Pierre Loti