samedi 26 février 2011

Holga Dreams





Itinéraires corses/Inventaire des photos non advenues (extraits) #4

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        Au sommet des falaises de la haute ville de Bonifacio, au-delà de l’ancienne caserne Mont Laure et des moulins ruinés, soumis aux rafales quasi permanentes, un terrain de football « au bord du monde ». Poteaux rayés rouges et blancs, rectangle d’asphalte vert pistache séparé de l’enceinte du cimetière marin par les lauriers rouges, roses et blancs. A l’endroit même, se trouvait il y a bien longtemps le boscu, ce bois de genévriers que les habitants de la cité génoise aimaient tant et qui aurait été détruit par des soldats révolutionnaires sans solde et sans bois de chauffe attendant un hypothétique départ pour la Sardaigne. Un tir trop puissant : le ballon franchit les filets de protection et plonge cinquante mètres en contrebas dans le bleu de la Méditerranée.
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        Le café « Le Niçois », Bonifacio. Esthétique année 50 : rambarde renflée de fer forgé sur la coursive qui mène à la salle, terrasse latérale à auvent de canisses, murs couleur vert absinthe, sièges en tubes de métal courbé blancs et tressage de fil plastique saumon ou bleu-gris, tables carrées orange à double pied noir ou grandes et rondes à piétement central noir, dallage rectangulaire de granite gris clair. J’ai toujours préféré m’y arrêter pour boire un pastis plutôt que de déranger la bonne marche du monde exprimée par les conversations qui se tenaient là.
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mercredi 9 février 2011

Littoral #1/Presqu'île de Quiberon

    Porz Bara

    Porz Rhu
                                                                        Tu sais ce qui est beau, ici ? Regarde : on marche, on laisse toutes ces traces sur le sable, et elles restent là, précises, bien en ligne. Mais demain tu te lèveras, tu regarderas cette grand plage et il n’y aura plus rien, plus une trace, plus aucun signe, rien. La mer efface, la nuit. La marée recouvre. Comme si personne n’était jamais passé. Comme si nous n’avions jamais existé. S’il y a, dans le monde, un endroit où tu peux penser que tu n’es rien, cet endroit, c’est ici. Ce n’est plus la terre, et ce n’est pas encore la mer. Ce n’est pas une vie fausse, et ce n’est pas une vie vraie. C’est du temps. Du temps qui passe. Rien d’autre.
Extrait d’Oceano Mare d’Alessandro Baricco.
    Penthièvre

Itinéraires corses/Inventaire des photos non advenues (extraits) #3

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Au format panoramique, le champ de courses hippiques de Viseo, aperçu entre les troncs verticaux des pins laricio, à droite en contrebas de la route du col de Bavella : surprenante ellipse de gazon anglais, vert lumineux, inscrite sur le vert dense et sombre de la forêt, avec dans l’ouverture du cadre la découpe acérée de la Punta di l’Acellu et ses aiguilles jumelles. Pris dans les faisceaux de l’éclairage nocturne, à l’heure où s’équilibrent la lumière tombante du soir et l’artifice électrique, en pause longue, espace utopique ou empreinte phosphorescente d’un astronef en maraude, Viseo, objet visuel notablement improbable. Je n’ai pu y accéder : une vieille dame vêtue de noir, gardienne de l’endroit, m’en a chassé sans ménagement.
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Juste après la lourde pluie d’orage de ce matin, dans les derniers lacets de la piste qui mène de Suartone à la baie de la Rondinara. Dans le ciel lavé des poussières en suspension, une cohorte de nuages venus de la mer se déploie rapidement avant de disparaître derrière les crêtes. Terre et rochers de granite ont pris des teintes ocres et rouges ; les feuillages du maquis qui dégouttent encore sont d’un vert intense ; tout l’espace est limpide et contrasté, saturé de couleurs, hyperréel. De chaque côté maintenant, un espace lacustre séparé de la mer par le cordon sableux et de petites grenouilles en nuée qui traversent dans la vapeur qui s’élève de l’asphalte surchauffé, sautant contre nos jambes. Toute une vie habituellement discrète et contenue sous la chape de chaleur de l’été se manifeste et se répand dans la fraîcheur provisoire. Mais il est impossible de faire tenir la totalité des plans dans le cadre, le proche et le lointain, l’ombre et la lumière, les courbes de la route à travers la roselière, l’Omega de la baie et les deux presqu’îles, la Punta di Prisarella au nord et la Punta di Rondinara au sud, qui l’enserrent telles les pinces d’un crabe, le turquoise de l’espace intérieur, l’outremer au-delà, vers le large et l’horizon.
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